«Tu verras le printemps arriver»... Bilan de résidence à Saint-Élie-de-Caxton

La 6e résidence de création pour conteurs et conteuses du Regroupement du conte au Québec, en partenariat avec le Conseil des arts et des lettres du Québec et Fred Pellerin, a eu lieu lieu à Saint-Élie-de-Caxton durant tout le mois d'avril. Cette année, la conteuse Céline Jantet est venue y travailler sur Maman est un mythe, son nouveau projet de spectacle de conte sur la maternité d’aujourd’hui. Elle partage, dans ce billet, ce qu'elle a retiré de cette expérience.

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TU VERRAS LE PRINTEMPS ARRIVER

C’est ce que m’avaient dit les autres conteurs et conteuses qui avaient déjà eu ce bonheur.

Alors, j’avais emmené mon manteau d’hiver et une valise de livres pour les longues soirées. C’étaient de bons conseils. J’ai apprécié mes bottes d’hiver dans les chemins encore enneigés en masse et les livres ont été de bonne compagnie pendant ce mois de résidence. Et j’allais me réchauffer à l’accueil caxtonien des mères avec qui j’avais rendez-vous.

Mais tout ceci était aussi une métaphore du mois de création qui m’attendait.

Maman-artiste voulant créer sur la maternité, je suis arrivée avec toutes mes couches de fatigue et de stress à l’image des couches de neige et de glace successives de cet hiver 2019. Il m’a fallu casser la glace, patienter plus longtemps pour la fonte et laisser les images monter. Celles du dedans. Pour me situer comme conteuse par rapport à mon sujet, il fallait que j’aille au cœur de ma propre maternité. C’était l’idée aussi de cette résidence, avoir du recul sur ce que je vivais moi-même pour le lier aux récits des autres.

Alors, j’ai d’abord créé des récits étranges, comme une multitude de reflets de ma maternité et de ce qui s’était déposé jusqu’ici, à partir des témoignages des mères que j’avais entendues. Dans ce temps dilaté d’un mois, hors norme et précieux que l’on ne cohabite plus dans notre société de productivité, comme artiste entrepreneure par obligation et en plus, comme mère aux multiples tâches… Ce temps m’a permis de visiter mes frontières, de me rappeler que j’aime la poésie aussi. Que je suis une révoltée depuis toujours. Que je suis comme mère et comme artiste, ce mélange de douceur et de convictions. Que mon imaginaire est luxuriant et habité de créatures étranges qui ne demandaient qu’à se faire connaître. Le tour du propriétaire était à jour, prêt pour le ménage de printemps.

Les premiers quinze jours m’ont permis de me libérer du quotidien, de m’approcher de ma source. Dans un silence troublant dont je ne me souvenais même plus l’existence. Avec des moments angoissants d’errance où le récit m’échappait, où je me demandais ce qui m’avais pris de choisir un tel sujet. Une secousse pour l’orgueil de la créatrice qui s’était pourtant préparée, mais qui se sent tourner en rond…

Quinze jours d’essais et de doute. Quinze jours très riches. Tout autant que les quinze jours qui ont suivi.

Je n’avais pas tourné en rond, mais creusé des sillons. J’avais préparé le terrain, fait une jachère propice à l’étape d’écriture suivante.

À mi-chemin, j’avais rendez-vous avec ma gardienne de récit, ma mentor et coach. Elle a su tout de suite me guider au carrefour où j’étais. Devant la multitude de pistes que j’entrevoyais sans plus savoir laquelle prendre. Elle savait mon parcours, les questionnements qui me tenaillaient et la tâche énorme que je m’étais donnée : ébranler à nouveau l’image que l’on a de la maternité aujourd’hui.

Comme je m’étais méfiée de mon volontarisme, elle m’a ramenée à ma volonté. Avec elle, j’ai fait le récapitulatif de ce que je voulais dire avec ce spectacle et avec ce titre : Maman est un mythe. Tout ce que j’avais écrit était satellitaire, il me fallait rentrer encore plus dans le sujet. Est apparue alors une ossature possible. Stéphanie m’a de nouveau laissé à ma tâche. Elle a été un phare, c’est important de s’amarrer à une équipe qui nous ressemble et nous complète tout à la fois. C’est précieux que d’avoir des mentors qui ont déjà tracé des routes.

C’est extrêmement nourrissant aussi d’être dans un nouveau milieu de vie. Et encore plus un milieu comme celui de Saint-Élie-de-Caxton où le conte est une discipline reconnue et appréciée. Les marches et les cafés avec les unes ou la récolte d’eau d’érable avec d’autres, tous ces moments ont nourri ma réflexion. En expliquant à l’une pourquoi j’avais choisi de parler de maternité, en écoutant les histoires des grands-mères d’une autre… une simple conversation, une question, une oreille attentive peuvent être des déclencheurs insoupçonnés. Je pouvais passer de la solitude à la communauté selon mon besoin, quel accueil ! J’étais très choyée.

Être dans la nature a fait aussi partie des bienfaits de cette résidence. Entendre le vent, la glace qui craque, la sève qui coule, voir un bouleau doré ou s’enfoncer dans la neige, tout autant de sons et de sensations qui ont éveillé ma sensibilité artistique, des images pour le récit et un bien-être non-négligeable. Entendre l’hiver disparaître lentement et espérer le printemps dans la création aussi.

À Saint-Élie-de-Caxton, j’avais donné rendez-vous à une petite dizaine de résidentes pour jaser maternité autrement. Magnifique rendez-vous qui m’a fait rencontrer des femmes chaleureuses, désireuses de vivre leur maternité loin des obligations de notre société capitaliste et marchande. Ces femmes ont éclairé ma route à chaque semaine en me partageant leurs réflexions, leurs anecdotes. J’ai aussi visité des mamans dans une maison qui est à toutes et on a ri autour d’un café de notre délicieuse imperfection de mère. À chaque fois, c’était un moment de grand bonheur. Toutes ces mères m’ont permis de mettre des mots sur la solitude et la communauté qui nous manquent ou nous sauvent dans notre maternité.

Grâce à elles, un matin est née une image fabuleuse qui sera charnière dans le récit.

J’ai fini les derniers jours en regardant la rivière se gorger d’eau et mon récit se déployer doucement. Je revendique la douceur.

En rentrant à Montréal pour retrouver ma joyeuse cohorte de sons et de bruits, je me suis dit que la résidence à Saint-Élie était comparable à une charnière de récit. On met le pied dans quelque chose qui transforme l’aventure.

Je repartais et je savais que je pouvais repartir parce que le printemps était arrivé…

Céline Jantet

Mai 2019

 

 

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Céline Jantet

Céline Jantet - crédit photo : Oscar Ocelotl Aguirre
ConteuseFormatriceChercheuse
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Revendiquant le conte comme un art actuel, Céline écrit des histoires d'aujourd'hui, ouvertes sur le monde de demain. Depuis 2006, Céline est conteuse pour des publics de tous les âges. Elle offre aux plus jeunes et à leur famille des spectacles imagés. Elle crée des solos féminins percutants pour le public adulte. Co-directrice artistique de La Quadrature, Céline
Céline Jantet - crédit photo : Oscar Ocelotl Aguirre
21 mai 2019